Dans cette affaire que j’ai eu à traiter, un couple marié de Français était officiellement résident depuis plusieurs années dans un pays étranger.
Par un jugement prononcé par le Tribunal étranger compétent, une adoption simple est prononcée.
Plusieurs années après cette adoption, le couple est contraint de rentrer en France.
Le jugement du Tribunal de grande instance de Nantes
Le couple sollicite alors l’exequatur du jugement étranger devant le Tribunal de Grande Instance de Nantes, afin de faire reconnaître qu’il s’agit bien d’une adoption simple (aucune adoption plénière n’a jamais été revendiquée en l’absence de consentement en ce sens de la mère biologique).
Le Tribunal de Grande Instance de Nantes refuse cet exequatur pour plusieurs motifs :
- La Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale n’avait pas été appliquée par la juridiction étrangère alors que selon le Tribunal de Grande Instance elle aurait dû l’être, l’enfant ayant selon lui vocation à être déplacé dès lors que les parents sont Français, même s’il admettait par ailleurs qu’ils étaient effectivement résidents dans le pays étranger concerné
- L’absence d’application de cette convention internationale serait contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant
- La conséquence serait que cette adoption serait contraire à l’ordre public international, l’une des 3 conditions fixées par la Cour de cassation pour la reconnaissance en France d’un jugement étranger
La conséquence de ce refus d’exequatur est que l’enfant, rentré depuis plusieurs en France avec l’accord des autorités français, n’avait aucun statut officiel en France et était élevé par un couple qui n’était pas officiellement considéré comme ses parents.
Le cauchemar administratif qui en résultait (absence de documents français permettant de voyager, de justifier son identité, absence de couverture sociale, etc.) conduisait bien entendu à s’interroger sur le respect concret de l’intérêt supérieur de l’enfant dans ce dossier.
Un appel a donc été formé.
La procédure devant la Cour d’appel de Rennes
Les arguments des parents
Plusieurs arguments ont été soumis à la Cour pour obtenir une infirmation de ce jugement. Schématiquement, cela consistait notamment à soutenir que :
- Le jugement étranger devait être reconnu en France au motif qu’il avait été prononcé par un juge étranger dont la compétence était incontestable compte tenu des circonstances du dossier, que ce jugement n’était pas contraire à l’ordre public international et qu’il n’existait aucune fraude : il s’agit des 3 conditions fixées par la Cour dans son arrêt Cornelissen.
- L’intérêt supérieur de l’enfant commandait que son adoption soit reconnue en France afin de lui éviter les tracas administratifs liés à son absence de statut en France, ce qui était de nature à le priver ainsi que ses parents du droit de mener une vie privée et familiale normale
Les arguments du Parquet général
Le Parquet général continuait à s’opposer à la reconnaissance de l’adoption en France, soutenant notamment que:
- La Convention de la Haye, ratifiée par le pays concerné, aurait dû être appliquée puisqu’un enfant de nationalité étrangère était adopté par des Français si bien qu’il aurait eu vocation à être déplacé en France
- Selon l’article 370-3 du code civil français, les conditions de l’adoption sont soumises à la loi nationale de l’adoptant, si bien que quelle que soit la loi applicable, l’adoption requiert le consentement du représentant légal de l’enfant, ce consentement devant être libre, obtenu sans contrepartie après la naissance de l’enfant, et éclairé sur les conséquences de l’adoption. Or le Procureur considérait dans le cas présent que les circonstances dans lesquelles l’enfant avait été adopté étaient contraires aux exigences de cet article
- En particulier, le consentement du père biologique de l’enfant n’avait pas été recherché, alors même que le Procureur n’ignorait pas que l’enfant était né d’une aventure sans lendemain et n’était pas mentionné sur l’acte de naissance étranger
- Les parents n’avaient pas respecté des mises en garde du Service de l’Adoption Internationale, tout en admettant que ces mises en garde pour le pays concerné étaient postérieures au prononcé de l’adoption en question…
L’arrêt de la Cour d’Appel de Rennes
Dans son arrêt en date du 6 mars 2017, la Cour va faire droit à l’argumentation des demandeurs, en procédant à une application rigoureuse des textes, trop souvent absente en matière d’adoption internationale, le plus souvent au détriment des enfants et des parents.
Ainsi que cela le lui était demandé, la Cour va tout d’abord juger que la Convention de la Haye n’était pas applicable dans le cas présent, son critère d’application étant la vocation de l’enfant à être déplacé de son état d’origine vers l’état d’accueil, à savoir celui où les parents adoptifs l’accueilleront. La Cour va constater dans cette affaire que les parents étaient résidents depuis plusieurs années dans l’état d’origine de l’enfant et ont continué à y résider plusieurs années après l’adoption, avant d’être contraints à rentrer en France. Bien que la Convention de la Haye était ratifiée au moment de l’adoption tant par la France que par le pays étranger concerné, elle n’était donc pas applicable, l’enfant n’ayant a priori pas vocation à être déplacé, même s’il a finalement dû l’être, en cours de procédure.
Indépendamment des circonstances dans lesquelles l’enfant avait été confié aux parents adoptifs, que le Procureur jugeait critiquables, la Cour a estimé que cette contrariété potentielle à l’ordre public international devait « être mise en balance avec l’intérêt supérieur de l’enfant, lequel doit présider à toute décision le concernant ».
Ce respect concret de l’intérêt supérieur de l’enfant qui est trop souvent oublié en matière d’adoption internationale va ici conduire la Cour à constater que l’enfant vit depuis plusieurs années et pratiquement depuis sa naissance avec ses parents adoptifs, que l’adoption simple ne le privera pas de l’opportunité de connaître ses origines (ce qui était semble-t-il le plus important pour le Parquet concernant cet enfant).
La Cour faisait également un constat de bon sens : l’enfant était né de père inconnu et n’avait pas de filiation paternelle si bien qu’il ne pouvait pas être reproché à ses parents adoptifs de ne pas avoir cherché à obtenir le consentement d’un père qui ne l’était pas pour les autorités du pays concerné. C’était pourtant un des arguments phares du Parquet pour considérer que le consentement n’était pas régulier !
Conclusion
Cet arrêt illustre le travers fréquent du Parquet à vouloir substituer son appréciation à celle du juge étranger lorsqu’il s’agit d’apprécier la régularité d’une décision étrangère en France.
Les conditions de cette régularité ont pourtant été clairement et limitativement été énumérées par la Cour de cassation dans l’arrêt Cornelissen précité.
Or le praticien régulier de ces domaines du droit constate trop souvent la propension du Parquet et hélas parfois aussi des juridictions du siège à vouloir substituer leur appréciation à celle des juridictions étrangères, allant parfois jusqu’à leur reprocher de mal appliquer leur propre loi. Or un tel contrôle correspond à une révision au fond du jugement étranger, formellement prohibée par la Cour de cassation. Lorsqu’un magistrat français prétend exercer ce contrôle, il viole donc sa propre loi en voulant reprocher au juge étranger de ne pas appliquer la sienne !
La Cour d’appel de Rennes, dans un arrêt où l’application stricte de la loi rejoint le bon sens quant à l’appréciation de l’intérêt de l’enfant, fournit ainsi un utile rappel des règles applicables en matière de reconnaissance des décisions étrangères, qui, espérons-le, sera entendu à Nantes.