La presse, nationale comme régionale, s’est fait l’écho de la mésaventure de parents qui ont voulu prénommer leur enfant, né à Rennes, Derc’hen.
Pour des raisons assez mystérieuses, l’état civil de la capitale de la Bretagne a estimé nécessaire de saisir le Procureur de la République de Rennes, qui aurait refusé le choix des parents au motif que le prénom comporte une apostrophe et que la circulaire du 23 juillet 2014 relative à l’état civil prohiberait un tel signe.
Sans parler de l’opportunité de refuser un prénom traditionnel breton alors que des prénoms de pure fantaisie ou d’origine étrangère indiscutable sont admis, la motivation juridique de ce refus laisse rêveur.
Il faut rappeler que la la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 a posé le principe de liberté de choix de prénom, la principale limite étant l’intérêt de l’enfant.
La circulaire du 23 juillet 2014 relative à l’état civil est venue poser une autre limite, tenant selon elle aux signes connus de la langue française.
Elle a ainsi précisé que seuls les signes diacritiques connus de la langue française étaient admis (soit à – â – ä – é – è – ê – ë – ï – î – ô – ö – ù – û – ü – ÿ – ç). Elle a ajouté que les ligatures æ et œ étaient admises.
Elle ajoute que tout autre signe diacritique est prohibé. Selon cette circulaire, adieu le ñ de Fañch (autre cas connu en Bretagne), le Łukasz polonais ou la Sølvi norvégienne.
Cette limite étant posée dans une circulaire, elle pourrait se discuter pour les prénoms concernés au regard d’autres textes plus fondamentaux. Ce n’est pourtant pas le vrai débat du jour.
En effet, soutenir que cette circulaire empêcherait de prénommer son enfant Derc’hen est tout aussi absurde que de prétendre qu’elle empêcherait de le prénommer Jean-Marc ou Anne-Lise : cette circulaire a pour seul objet d’indiquer les voyelles et consonnes accompagnées de signes diacritiques qui sont considérés comme faisant partie de la langue française et ceux qui sont considérés comme n’en faisant pas partie. Elle ne traite en aucun cas des signes graphiques ou de ponctuation tels que les tirets ou les apostrophes, qui font incontestablement partie de la langue française comme les 26 lettres de l’alphabet français, que la circulaire n’évoque donc pas davantage…
Cette circulaire n’interdit donc pas plus les apostrophes que les tirets et invoquer cette circulaire pour interdire le prénom Derc’hen est absurde. Il ne parait d’ailleurs pas plus judicieux de vouloir régler le problème du petit Derc’hen en demandant le retrait d’une circulaire qui ne concerne en fait pas son cas !
Quant à prétendre que la présence d’une apostrophe serait contraire à l’intérêt de l’enfant, la démonstration du Procureur de la République sur ce point est attendue avec impatience alors que Derc’hen est un prénom traditionnel breton et que bien des noms de famille comportent un c’h en Bretagne.